lundi 6 juillet 2015

LES ARTS THERAPEUTIQUES ET LA TRIPARTITION HUMAINE de Dr Jean CHAZARENC

Les arts thérapeutiques et la tripartition humaine
Dr Jean Chazarenc

Pour saisir le "pourquoi" et le "comment" des arts thérapeutiques, il est nécessaire de faire appel à la notion de tripartition humaine, base même de la médecine d'orientation anthroposophique.  La tripartition humaine n'est pas une abstraction mais une réalité vivante et permanente, par laquelle l'Homme se manifeste et se réalise dans le monde en tant qu'être spirituel.  Il s'agit d'une véritable "trinité processuelle" qui incorpore l'Homme dans le monde, c'est-à-dire dans les trois plans de l'espace (frontal, horizontal et sagittal) et les trois "dimensions" du temps (passé, présent et avenir), et, simultanément, permet la manifestation de ce qui, en l'Homme, est au-delà (ou en-deçà) de l'espace et du temps, c'est-à-dire de nature spirituelle ou essentielle, par opposition à ce qui est de nature terrestre ou existentielle.

La nature tripartite de l'être humain est constituée de deux systèmes ayant chacun une situation et des fonctions opposées et d'un troisième dont la place et le rôle sont médians.  Les deux pôles sont, d'un côté, le système du métabolisme et des membres (surtout inférieurs), localisé au-dessous du diaphragme, dont la fonction est d'assurer l'élaboration de la substance et de la chaleur, et de conférer à l'être humain le mouvement et la vie.  Ce système est le siège de dissolutions, de métamorphoses et de naissances incessantes de la forme et de la substance, qui témoignent de l'activité de l'esprit au sein de la chair. Ici, tout est en devenir. A l'opposé, se trouve dans la tête le système nerveux et des sens dont la structure est donnée une fois pour toute, comme figée dans le temps, dont l'immobilité et l'immuabilité permettent la pensée et la perception. Ici, la substance fait place au processus, alors que, dans l'autre système, le processus donne naissance à la substance.  Dans le système neurosensoriel, l'esprit s'émancipe de la matière qu'il a lui-même formée, il s'en saisit comme d'un miroir ou d'un instrument lui permettant de devenir conscient de lui-même. Le système métabolique est donc un pôle de réalisation et d'expérience, "d'oubli de soi", le système neurosensoriel, un pôle de réflexion et de connaissance de soi.

Ces deux pôles constituent des contingences, des forces et des processus aussi inéluctables et puissants que le sont le ciel et la terre, la lumière et les ténèbres, l'été et l'hiver ou le jour et la nuit.  Ils sont deux états extrêmes qui trouvent leur équilibre, leur résolution, dans le système médian qui les réunit et les harmonise en son sein. Ce système, de nature principalement rythmique, est placé dans le thorax. Ses fonctions sont la respiration et la circulation aux sens larges des termes. Circulation : faire communiquer et s'interpénétrer les extrêmes, leur permettre de se percevoir mutuellement, malgré leur nature opposée, et d'agir l'un sur l'autre. Respiration : permettre, grâce au rythme, l'équilibre et la coexistence des polarités  : le respir n'est pas seulement une succession d'inspirs et d'expirs, mais l'inspiratoin se prolonge dans tout l'organisme quand, déjà, l'expiration pulmonaire débute, et inversement.  C'est cette simultanéité des contraires qui caractérise le système rythmique et en fait le témoin, l'instrument et l'acteur du présent.  Ce système est porteur et générateur du sentiment, de l'émotion, dont la principale qualité est l'instantanéité.  Le sentiment est le vécu au présent d'une expérience, d'une perception ou d'une réflexion.  C'est là que vit l'artiste en nous, dans le rythme alterné de l'impression et de l'expression.

L'art a cette capacité de faire perdre son sens à un concept figé, comme d'en donner un à une action primaire : selon l'art et la manière de prononcer le mot "maison", nous pouvons lui faire perdre tout sens pour n'en révéler que la musique, la poésie ou, simplement la "masse" sonore ; selon l'art et la manière de prononcer le son "A", nous pouvons lui donner diverses significations.  Le système rythmique, pour autant qu'il soit libre des contraintes qu'il est chargé de relier et d'équilibrer - tête et jambes/ventre, pensée et volonté, idée et instinct - nous donne l'accès à ce présent, réalité entre le souvenir et le désir, entre la nostalgie et l'espoir, entre le préjugé et l'illusion.  Il est cet "espace-temps" où l'Homme peut se sentir être, alors que, dans la tête, il se perçoit "comme" étant et, dans le ventre, il est, sans se percevoir. L'Homme n'est véritablement total que lorsque ces trois instances sont pleinement développées et équilibrées, et la maladie n'est autre que le témoin d'une insuffisance ou de l'excès de l'une ou deux d'entre elles.

Il faut aussi souligner que l'unité de cette tripartition est assurée par la présence, dans chaque système, de structures et de processus correspondant aux deux autres.  Le système nerveux a, par exemple, une capacité, certes limitée, d'élaboration de la substance (ce qui permet la récupération plus ou moins compète de lésions nerveuses) et le système métabolique a une certaine constance quant à la structure des substances qu'il génère (ce qui permet la conservation de l'individu comme de l'espèce).

A l'image de cette tripartition de l'être humain, la maladie comme la thérapie peuvent se concevoir à travers une triple dimension : celle du ou des "sens" du processus pathologique, appelant comme réponse une démarche diagnostique (percevoir et reconnaître), celle de l'expérience même de la maladie (douleur, handicap, etc.) qui suscite la volonté de guérir, chez le patient comme chez le thérapeute et, enfin, l'acceptation ou la non-acceptation par le malade de son état, plan du sentiment sur lequel se situe la relation thérapeutique proprement dite.

A l'image de cette tripartition de l'être humain, la maladie comme la thérapie peuvent se concevoir à travers une triple dimension :
- celle du ou des "sens" du processus pathologique, appelant comme réponse une démarche diagnostique (percevoir et reconnaître),
- celle de l'expérience même de la maladie (douleur, handicap, etc.) qui suscite la volonté de guérir, chez le patient comme chez le thérapeute
- et, enfin, l'acceptation ou la non-acceptation par le malade de son état, plan du sentiment sur lequel se situe la relation thérapeutique proprement dite.

Les arts thérapeutiques agissent tout particulièrement sur ce plan.  On peut les placer entre, d'un côté, les mesures physiothérapeutiques et médicamenteuses qui s'adressent spécialement au plan physique, de la volonté et du métabolisme, et, de l'autre, l'entretien (psycho)thérapeutique dont le but est la reconnaissance, la découverte du sens de la maladie, et, à travers elle, de l'être tout entier.

L'art thérapeutique s'adresse directement au système rythmique dont on peut dire qu'il est chez l'homme moderne toujours sur- ou malmené.  Un des premiers effets de l'art (en général) est de soulager et de renforcer ce système en lui donnant une "nourriture", ce qui se traduit souvent par la réapparition du sentiment d'être.  La vie contemporaine dite civilisée étouffe en effet le système rythmique non seulement par la pauvreté de la vie artistique, mais aussi par l'absence de rythmes et, surtout, par une prédominance maladive de l'intellect et des instincts (de consommation et de conservation).  Dans un deuxième temps, l'art thérapeutique révèle le patient à lui-même et au thérapeute d'une façon que l'examen médical ou l'entretien thérapeutique ne sauraient égaler.  Il se forme ainsi une "image" vivante et signifiante du patient et des processus pathologiques, sur laquelle le thérapeute va travailler en artiste, faisant appel, par les lois de son art, à ce qui est sain chez son patient.  Cela implique à la fois beaucoup de respect et de responsabilité de la part du thérapeute et une grande confiance de la part du patient.  Le reste est question d'exercice et de persévérance.  Ce sont ces "présents" répétés à chaque séance d'eurythmie, de peinture, d'art de la parole, qui guérissent, tantôt subitement, tantôt progressivement.

Il est évident que la thérapeutique artistique ne saurait remplacer le médicament, ni l'entretien thérapeutique qui relève du médecin ou du psychothérapeute.  Elle constitue cependant le pôle médian d'une médecine qui veut prendre en compte la totalité de l'être humain.  L'idée, comme la réalité, de la tripartition de l'être humain (de la malade, de la thérapeutique) ne sont cependant qu'une démarche antroposophique.  Elles constituent un temps analytique qui permet d'aller d'un état global imparfait (la maladie) vers un nouvel état global caractérisé par un degré d'intégration supérieur.

Tout travail sur la tripartition doit avoir cet arrière-plan et ce but de l'unité ou de la totalité de l'être humain, sous peine de conduire à une stagnation, voire à une aggravation de la situation que l'on tente de soigner ou de guérir.  Une médecine trop "intellectuelle" (comme tend à l'être celle de la Faculté) ou, au contraire, trop "instinctive" (comme les médecines "naturelles" peuvent le devenir) conduisent souvent à des impasses.  L'art protège de l'unilatéralité dans la mesure où il fait appel à l'homme dans sa totalité.

Article publié dans le bulletin n° 28-29 de l'APMA - Hiver 1994-95

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